about SOL
written by Clara Darrason




Au commencement – vers la lumière

Au commencement, les ténèbres enveloppaient la terre. Dans la Genèse, Dieu crée la lumière, distinguant ainsi le jour de la nuit. La sortie de l’obscurité se traduit anatomiquement par un clignement de paupière. L’œil s’ouvre, et voit – c’est le clap de début, « ça tourne ». Le noir remplit l’espace dans les premiers plans des deux vidéos de l’exposition de Anne-Charlotte Finel à la Forteresse de Salses. Des points lumineux perforent ensuite l’écran, laissant présager ou imaginer la vie.

Dans SOL, le scintillement des parois des cavernes résulte de la calcite qui s’y est déposée et campe le film dans un lieu fictif, une grotte magique où des lucioles millénaires rythment les entrailles de la terre. C’est un abri pourtant bien réel, qui a permis à d’anciennes tribus troglodytes de se protéger, de vivre en communauté, et de traduire visuellement leur quotidien. Campé sur ses deux jambes, le buste relevé, la main assurée d’un Homo Sapiens a tracé des entailles dans la roche pour y imprimer la tête d’un cheval, les silhouettes d’un troupeau de rennes, de bisons des steppes et mammouths. Ces gravures et peintures pariétales permettent de deviner dans Sol les corps absents, ceux des occupants de ces antres souterraines. De furtives apparitions ponctuent pourtant la vidéo. Gardiennes des lieux, des chauves-souris fendent l’air à vol battu, et invitent le septième art dans la composition. Usant du fondu au noir, l’image s’assombrit pour disparaître, puis s’ouvrir graduellement sur des plans en couleurs. Cette technique s’apparente au déploiement et repli des mains ailées et intrinsèquement dramatiques des chiroptères, chefs d’orchestre d’un portail temporel ultrasonique. Les révélations et illusions cinématographiques prennent forme dans un lieu clos, sans issue, un trou débouchant sur des galeries, boyaux, cheminées dans lesquels des concrétions de carbonate de calcium frétillent et pixelisent les surfaces ruisselantes à dominante vertes et bleues.

Les alligators dans NUIT sont des véhicules entre une ère préhistorique, et celle contemporaine de l’anthropocène. Les reptiles ne sont pas dévoilés, seules flottent leurs cuirasses et gueules puissantes, l’eau repoussant à la surface ces corps monstrueux. La juxtaposition de ces deux vidéos place la chauve-souris ou le crocodile dans un espace de cohabitation. Animaux à mauvaise réputation, mal-aimés usant de méthodes de chasse spectaculaires - vampirisme ou noyade – ils n’en sont pas moins victimes de la prédation directe ou indirecte de l’homme. Le crépitement de la roche et l’iridescence des pupilles dans SOL et NUIT sont au même titre que le bestiaire préhistorique des grottes de Dordogne des écosystèmes fragiles et uniques. La transfiguration du corps en paysage est couplée à la paréidolie1. Les scutelles des sauriens se confondent aux remous marécageux. Dans le dédalle des réseaux creusés par le temps, les excavations, niches, puits ou colonnes stalagmitiques se muent en cuisses, encolures, mamelles ou dents. Ce méandre charnel rappelle les figures rupestres de Ana Mendieta tracées dans la roche ou le sable – formes géométriques simples, courbures et attributs sexuels féminins. La grotte s’érige alors comme le creuset de l’origine du monde.
L’installation d’Anne-Charlotte Finel est ponctuée de cieux : les pupilles des sauriens deviennent des drones défilants dans la nuit noire ; des étoiles filantes traversent les flancs des cavernes. Ces éclats émanant de peaux et sols deviennent des tremplins vers l’infiniment grand. Dans son Histoire de l’Art, Émile Faure décrit la terre de ces premiers hommes comme la matrice et la tueuse, la matière diffuse qui boit la mort pour en nourrir la vie. Les choses vivantes s’y dissolvent, les choses mortes y remuent2. Dans SOL les parois vibrent, l’eau grouille de bêtes voraces, des animaux aujourd’hui disparus font des apparitions fantomatiques sous la caméra de l’artiste. Dans la forteresse militaire conçue pour défendre un territoire, la conquête se révèle futile et de courte durée face à l’échelle du temps. Comme les diamants de calcite insaisissables et les cathédrales naturelles du paléolithique, Anne-Charlotte Finel déploie son regard et le nôtre vers des richesses immatérielles et le firmament.



1 Phénomène psychologique consistant à percevoir des formes familières dans des images désordonnées (paysage, nuage, constellation, tache d'encre…).
2 Elie Faure. Histoire de l’art – Tome 1. « Avant l’histoire ». p.23.