about ALORS FOUS MOI LA PAIX AVEC TES PAYSAGES ! PARLE-MOI DES SOUS-SOL !
written by Chloé Fricout




Pour sa première exposition personnelle à la galerie Jousse Entreprise, Anne-Charlotte Finel parcourt des souterrains. Urbains, forestiers et aquatiques, ces espaces soustraits à la vue sont scrutés par sa caméra qui grésille dans le halo d’une lumière électrique. C’est dans ces interstices technologiques et géologiques que Finel déploie son art du guet pour faire apparaître un champignon sculptural, des tourbillons d’eaux ou une fleur tropicale.

Artiste vidéaste, Anne-Charlotte Finel travaille « entre chien et loup » pour reprendre le titre d’une vidéo de 2015 où elle observe des chevreuils à la sortie des sous-bois, dans le crépuscule d’un abord de ville. Lieux indéterminés, heures évanescentes, dans ces espaces d’entre-deux, la nature reprend ses droits. Depuis, Finel conserve sa position d’équilibriste : entre l’ombre et la lumière, entre le noir et les couleurs, entre l’urbain et l’animal.

CHÂTEAU EN ESPAGNE (2018), TRISTE CHAMPIGNONNISTE (2017), FOSSE (2018) et JARDINS(2017), présentées dans les premières salles de la galerie, sont la continuité de ce travail de paysage. Toujours dans la pénombre, l’artiste se place cette fois au plus près de ses sujets et les scrute. Cernés d’une obscurité vibrante, les motifs végétaux et minéraux affleurent, indistincts, tels des ornements stylisés d’art nouveau. Anne-Charlotte Finel ne dissimule pas son outil de travail, au contraire, elle manipule sa caméra HD pour provoquer des erreurs optiques qui donnent une matérialité supplémentaire aux pixels et soulignent la délicatesse de l’objet filmé. Avec les sérigraphies, l’artiste étend ses recherches sur la facture de l’image et de sa trame, en utilisant les aléas inhérents à ce mode d’impression. Là aussi, des dérèglements techniques, advient une élégance vive.

À ce romantisme discret, se mêle une autre intention soulignée par une musique qui emplit la galerie et nous maintient sur le qui-vive. Pour cette exposition, l’artiste nous emmène d’abord sous terre, sous l’eau, elle délaisse les paysages à ciel ouvert pour leurs soubassements inquiétants. Pour Anne-Charlotte Finel, il s’agit d’aller voir ce sur quoi nous marchons, ce qui nous soutient et nous fonde : c’est le sous-sol réclamé par Estragon dans En attendant Godot lorsqu’il s’exclame « Alors fous-moi la paix avec tes paysages ! Parle-moi du sous-sol ! ». Quitter les apparences pour aller chercher l’équivoque. Dans une société où la transparence s’affiche comme le nouveau graal politique, l’artiste regarde là où le trouble demeure. Entre deux catégories, elle choisit l’espace flou de la jonction, là où les définitions disparaissent pour laisser surgir autre chose. Un château en ruines, des sous-sols parisiens, un gouffre d’eau, des abords d’aéroports, autant d’interstices incertains dans lesquels elle s’insère à la recherche de ce qui, travaillé par sa caméra, transforme ces espace temps en terrains sensibles. Pour souligner l’image, Luc Kheradmand, musicien et collaborateur de longue date, imagine des nappes sonores qui cohabitent dans l’espace pour créer une atmosphère faite d’autant de morceaux qu’il y a de vidéos. Chacune ayant une durée différente, la bande son de l’exposition est alors un agencement aléatoire qui participe à brouiller la limite entre une œuvre et l’autre.
Pour clore le parcours, Finel retourne sa caméra vers des cieux d’aéroports. Dans un diptyque intitulé EFFAROUCHEUR (2018), les halos lumineux s’intensifient et se multiplient, brouillant l’information filmée par une caméra infra-rouge. Finel ne cherche ni la précision de sa caméra nocturne, ni le détail des machines ultra modernes. Elle guette les avions, comme des proies. Ils sont des motifs lumineux à capturer pour s’élancer, sortir du cadre.